Qué haría yo sin este mundo sin rostro sin preguntas
donde ser no dura sino un instante donde cada instante
gira en el vacío en el olvido de haber sido
sin esta onda en donde al final
cuerpo y sombra se confunden
qué haría yo sin este silencio abismo de rumores
jadeando furioso hacia la salvación hacia el amor
sin este cielo que se eleva
sobre el polvo de su lastre
qué haría yo haría como ayer como hoy
mirando por mi rendija si no estoy solo
para errar y alejarme de toda vida
en un espacio falso
sin voz entre las voces
encerradas conmigo
Bueno bueno es un país
donde el olvido donde pesa el olvido
suavemente sobre mundos sin nombre
ahí callan la cabeza la cabeza es muda
y se sabe no no se sabe nada
muere el canto de las bocas muertas
hizo su viaje sobre la arena
no hay nada que llorar
mi soledad la conozco bueno la conozco mal
tengo tiempo eso es lo que me digo tengo tiempo
pero qué tiempo hueso ávido el tiempo del perro
del cielo que palidece sin cesar mi grano de cielo
del rayo que asciende ocelado temblando
de las micras de los años en tinieblas
quieren que vaya de A a B no puedo
no puedo salir estoy en un país sin huellas
sí sí es una cosa hermosa la que tienen ahí una cosa
muy hermosa
qué es no me hagan más preguntas
espiral polvo de instantes qué es lo mismo
la calma el amor el odio la calma la calma
Música de la indiferencia
corazón tiempo aire fuego arena
de la silenciosa ruina de amores
cubre sus voces
y que no me escuche más
callarme
Samuel Beckett, Poemas, 1937-1939; 1947-1949
Traducción: Rafael Perez Gay
Que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions
où être ne dure qu’un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s’engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre de murmures
haletant furieux vers le secours vers l’amour
sans ce ciel qui s’élève
sur la poussière de ses lests
où être ne dure qu’un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s’engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre de murmures
haletant furieux vers le secours vers l’amour
sans ce ciel qui s’élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi
****
bon bon il est un pays
où l’oubli où pèse l’oubli
doucement sur les mondes innommés
là la tête on la tait la tête est muette
et on sait non on ne sait rien
le chant des bouches mortes meurt
sur la grève il a fait le voyage
il n’y a rien à pleurer
où l’oubli où pèse l’oubli
doucement sur les mondes innommés
là la tête on la tait la tête est muette
et on sait non on ne sait rien
le chant des bouches mortes meurt
sur la grève il a fait le voyage
il n’y a rien à pleurer
ma solitude je la connais allez je la connais mal
j’ai le temps c’est ce que je me dis j’ai le temps
mais quel temps os affamé le temps du chien
du ciel pâlissant sans cesse mon grain de ciel
du rayon qui grimpe ocellé tremblant
des microns des années ténèbres
j’ai le temps c’est ce que je me dis j’ai le temps
mais quel temps os affamé le temps du chien
du ciel pâlissant sans cesse mon grain de ciel
du rayon qui grimpe ocellé tremblant
des microns des années ténèbres
Vous voulez que j’aille d’A à B je ne peux pas
je ne peux pas sortir je suis dans un pays sans traces
oui oui c’est une belle chose que vous avez là une bien belle chose
qu’est-ce que c’est ne me posez plus de questions
spirale poussière d’instants qu’est-ce que c’est le même
le calme l’amour la haine le calme le calme
je ne peux pas sortir je suis dans un pays sans traces
oui oui c’est une belle chose que vous avez là une bien belle chose
qu’est-ce que c’est ne me posez plus de questions
spirale poussière d’instants qu’est-ce que c’est le même
le calme l’amour la haine le calme le calme
****
musique de l’indifférence
cœur temps air feu sable
du silence éboulement d’amours
couvre leurs voix et que
je ne m’entende plus
me taire
cœur temps air feu sable
du silence éboulement d’amours
couvre leurs voix et que
je ne m’entende plus
me taire
Samuel Beckett, Mirlitonnades, 1978, éditions de Minuit.
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